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Logan Etalonnage - Movie Poster

« LOGAN » : une petite histoire d’esthétique filmique à l’attention des super-héros

En ce qui concerne mon choix de séances ciné, je fais partie de cette catégorie de gens qui se basent à 90% sur l’affiche. Alors oui je vous vois déjà sortir vos pierres afin de procéder à une lapidation en règle, ou pire brandir le très menaçant Unfollow ! Mais c’est comme ça, je me suis rendu compte avec le temps que le moins j’en savais sur le film, moins j’en avais d’attentes. Parce que les technique de marketing en disent beaucoup plus sur le produit, sa cible, son message… J’aime conserver ce goût de la découverte scénaristique et technique et m’arrêter au simple poster. Les frontières entre blockbuster et films indépendants finissent par s’effacer pour ne laisser place qu’à la découverte pleine d’une histoire, d’un esthétisme, d’une technique…

Sur Internet, vous appelez ça « Putaclic » ;
au cinéma on appelle ça une « promesse de genre »

Si je ne rechigne pas à un petit film de super-héros de temps en temps, je suis loin d’être un fan de ces films que je trouve souvent lourds à digérer. Je trouve en fait que les séries DC ou Marvel présentent des expérimentations scénaristiques et visuelles plus en accord avec ce que je perçois de l’univers riche et diversifié des comics. D’un point de vue extérieur, chaque super-héros DC et Marvel semblent hériter d’une identité et d’une psychologie développée méticuleusement depuis des décennies. En résulte un panel de protagonistes et d’esthétiques riche que les films ont tendance à lisser. Il suffit d’une rapide recherche sur BigG pour constater que le marketing autour de ces films s’attache plutôt à vendre un film aux codes canoniques plutôt que l’identité de ses protagonistes.

Logan Etalonnage - Blockbuster Posters

Chaque affiche reprend des ficelles qui ressemblent maintenant à de la bonne grosse corde de bateau : composition ascendante, des visages en pagaille, un bon gros bleu-gris qui tabasse, le ciel -nuageux de préférence, un paysage urbain ou méca, des trucs qui brûlent ou crachent des lasers. Ca mon petit lecteur, c’est ce que l’on appelle de la promesse de genre, et ce n’est pas (encore) répréhensible. L’enjeu d’un film tient justement à dépasser cette promesse initiale. C’est notamment le tour de force de licences à succès comme Star Wars, Harry Potter ou le Seigneur des Anneaux qui ont instauré une temporalité et un ton propre à chaque opus, en allant parfois à contresens des canons du genre.

La trilogie Batman de Christopher Nolan illustre parfaitement cette mécanique. « Batman begins » dépassait allègrement les codes du film de super-héros. « The Dark Night » alignait le double tour de force de s’affranchir à la fois totalement de l’épisode dont il est la suite directe, mais aussi une nouvelle fois des canons cinématographiques du super-héros – notamment par la multiplication et la juxtaposition des enjeux auquel doit faire face le héros.

« The Dark Knight Rises » ne rencontrera justement pas le succès des deux précédents opus de par son incapacité à justement les transcender. Simple développement d’arcs narratifs pré-existants, enjeu simplissime, psychologie de comptoir et esthétique sans surprise…forcément quand on voit ça quelle est notre réaction ?

Logan Etalonnage - Duo

Logan : de l’affiche au film.

Alors oui, j’ai totalement flashé sur cette affiche de Logan, totalement aux antipodes de tous les films de supers-héros. Bien sûr elle est loin d’être sans promesse, mais on y découvre un super héros hirsute, sans crème Q10, en fuite… Quand on connaît la prédisposition de ces petites bébêtes à aller toujours tête baissée dans les emmerdes, on apprécie ce mouvement de survie. Et cette promesse se déroule jusque dans la salle. On y découvre une histoire confidentielle, loin de ces milieux fourmillant d’humains qui crient (pauvres créatures), avec des environnements qui sentent bon le vieux tronc et la terre. En bref, je vous la fait en mille : aux forces de la manipulation génétique s’oppose la force de la nature dans une dichotomie rédemptoire assez intéressante (billet d’entrée pour le masque et la plume s’il vous plaît).

Le problème dans toute cette bonne idée, c’est que le look du film ne suit pas du tout. L’essentiel du film a tendance à se cantonner à un look « Orange & Teal » (la complémentaire entre orange et bleu saturés typique des blockbuster d’action) qui détonne complètement. Et c’est particulièrement dommage car le film jouit de belles séquences.

Logan Etalonnage - Opening Scene

Éloge de l’imparfait

À titre d’exemple, la séquence d’ouverture canonissime se place dans une logique esthétique très forte. En ce sens elle se fait écho à l’affiche en voulant bousculer les genres. Le violet néon renvoie au confidentiel. Il évoque immanquablement le monde un peu crade des motels qui vient caresser l’aspect lustré de la Chrysler. Mais à l’horizon l’oeil est immanquablement attiré par la complémentaire orange, promesse des grands espaces du film. Esthétiquement donc, le propos tend à nous préparer à l’abandon de ces milieux modernes brillants, parfaits et superficiels. La Chrysler en est le marqueur diégétique : plus on s’éloigne de la ville, plus elle déguste.

Mais c’est à partir de cet éloignement que plastiquement les choses se gâtent. En terme de texture le film paraît effroyablement brillant. L’ensemble du film a un rendu très « métallique », assez caractéristique des blockbuster américains. Le résultat est trop techniquement parfait. Le contraste s’acharne à laisser des détails dans les ombres et les hautes. Même les flares semblent trop maîtrisés . Les peaux sont trop définies, et même si j’apprécie d’avoir le nez dans la barbe Graougraou de Hugh Jackman, quand c’est trop c’est tropico ! Techniquement donc il n’y a rien à redire, mais c’est justement cette perfection technique qui est en total désaccord avec le film. Or c’est justement cette perfection technologique que Logan fuit dans cet arc narratif …

Logan Etalonnage - Mercenaries Reavers

Qui ne pense pas en voyant ce plan, à un mauvais jeu vidéo?

Logan est un film crade. Autant l’assumer.

En réalité le film aurait gagné à arborer un look un peu plus imparfait. Peut-être aurait-il fallu jouer la carte du rétro un peu sale. Puisque l’ensemble des décors ont tendance à être usés jusqu’à la moelle, grinçants, en fin de vie, il aurait été bon de les exploiter. D’autant plus que les lumières – sublimes – y jouissent d’une très belle subtilité idéal à ce type de look. Alors que l’essentiel de l’action – et la signature du film – se déroule dans le désert aux heures rasantes, les températures de couleurs perçues restent trop froides et le sable trop gris. Et même du bleu (DU BLEU MESDAMES ET MESSIEURS !) vient faire coucou dans ces ombres pas du tout assez enterrées.

Logan Etalonnage - Car Scene

J’ai rien contre le Bleu. Mais c’est en l’occurence ici je vois mal d’où viendraient ces longueurs d’ondes. Une pellicule n’en restituerait pas un brin sous un éclairage pareil ! D’autant plus que symboliquement le bleu reste la couleur de l’urbanisme, de la technologie, du fantastique. Je comprends donc à la limite cette volonté de mettre en avant les aspects chromés des petits bouts de métal qui traînent ici et là, quand un ultime rappel au tout technologique caractéristique des grandes heures des X-Men. Mais partout jusque dans les vêtements, la bagnole, la forêt, c’est non. Et c’est pas la peine de me la faire genre ouais c’est un bleu d’eau, y’a un peu de cyan. J’AI DIT NON !

Car à son inverse le choix des teintes dorées donnerait quelque chose de très terrestre et à la fois très divin. C’est une couleur qui évoque la force, la puissance, mais aussi la noblesse et la sur-humanité. C’est ce qu’on appelle la « palette du lion » et c’est précisément cette palette qui s’applique à Logan. Un environnement très terreux, désertique, pour un mutant dont la force est légendaire (et dont les biceps sont aussi graougraou). À cela s’ajoute tout le parcours de Logan, clairement axé autour de la rédemption, du pardon. Or quoi de mieux que le doré pour symboliser cette avancée vers ce salut inéluctable. Et ainsi rendre à notre super-héros, son statut d’immortel quasi-divin.

 

Logan Etalonnage - Black & White

« Logan aurait été somptueux en noir et blanc. »

Certes il y aurait beaucoup à débattre autour de Logan. Je ne peux qu’offrir une analyse de novice en terme de respect de l’univers original. Mais alors que justement la double promesse était de proposer un film de super-héros différent tant de par les thèmes qu’il aborde que son environnement diégétique, on se retrouve avec un look sans intérêt qui rappelle furieusement un (médiocre) jeu vidéo. En ce sens, même ces derniers soignent un peu plus leur direction artistique. The Last Of Us dont les ressemblances avec Logan sont troublantes aurait été un bon marqueur.

Logan aurait été somptueux en noir et blanc. En témoignent plusieurs éléments de la promotion de la Fox (ci-dessus et ci-dessous). Le réalisateur du film James Mangold a lâché sur Twitter qu’il travaillait actuellement dessus. Et c’est heureux car le film semble très bien s’y prêter. Beaucoup de vidéos s’y essayent avec plus ou moins de succès sur Youtube. Evidemment l’ambiance en devient totalement changé, mais il donnerait au film un plaisant look de western moderne. Qu’en sera-t-il réellement au final ? Peu de studios laissent cette liberté aux réalisateurs. À part Miller pour Mad Max, peu sont arrivés au bout de leur désir.

Au final l’histoire de Logan se défend honorablement. Elle apporte un souffle à des ligues de justiciers qui commencent furieusement à tourner en rond. La photographie est particulièrement belle et sert magnifiquement des décors bien conçus.  On ne peut qu’être frustré de cette pudeur inadaptée à l’étalonnage qui ne transforme pas cet essai bien marqué. Il aura au moins un mérite : montrer que l’étalonnage n’est pas simplement qu’une histoire de mettre de jolies couleurs…

Et puisque vous êtes là...

… j’aimerais vous dire encore un truc.

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Comments

  • reply
    Matt
    1 avril 2017

    Merci pour cette analyse.
    Je ne suis généralement pas très client de ce type de films, justement à cause de ces codes étouffants. Assumer un parti pris (bon ou mauvais), c’est déjà intéressant, mais faire de la soupe de codes visuels éculés, aucun intérêt, à part marketing.

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