[Test] Sigma Ciné Zoom 18-35mm T2.0 & 50-100mm T2.0
Pendant quelques semaines de mars, SIGMA France m’a proposé de partir avec une valise contenant ses deux zooms Super35mm : Le Sigma Ciné 18-35mm T2.0 et le Sigma Ciné 50-100mm T2.0. Objectif : tester en long en large et en travers ces deux optiques vidéos à moins de 4000€. Après une première partie purement technique que j’ai écrite sur le site Focus Numérique, voici le temps d’une conclusion plus subjective.
Il faut quand même le dire : au départ je ne suis pas (n’était pas?) le plus grand fan des objectifs Sigma. Je l’ai même précisé en septembre dernier dans l’article officialisant ces fameuses optiques ciné. Du coup, j’étais plutôt surpris que le constructeur me propose un galop d’essai. Si je trouve les objectifs Sigma techniquement irréprochables et tout à fait idéaux pour un travail photographique, je leur ai toujours trouvé un manque de caractère en vidéo.
Certes leur ouverture unique à f/1.8 m’a longtemps fait de l’oeil, mais c’était plutôt par confort que par amour de l’image. Or ces optiques de gamme « Ciné » conservent la même formule optique que leur pendant photographique. On y retrouve donc une ouverture à f/1.8 transformé en T.2.0, soit une transmission jamais atteinte sur aucun zoom Ciné Super35mm à moins de 85 000 $ (véridique !). Et on y retrouve une résolution et un piqué se situant, selon Sigma, entre le 6K et le 8K. Nul doute donc que ces versions ciné soient optiquement tout aussi bonnes que leur pendant photographique. Et même si quelques défauts viennent entacher cette performance, impossible de nier que Sigma vient d’agrandir significativement la brèche timide des optiques cinéma abordables. Si vous avez besoin de vous en convaincre, je vous renvoie au test technique.
Mais aussi excellentes soit-elles, je sais d’expérience que la performance technique vient souvent se heurter au lourd parpaing de la réalité. Et on peut être vite séduit par un produit performant mais totalement inadapté à son utilisation personnelle. Si ça peut vous décomplexer c’est encore mon cas parfois ; même si avec le temps j’apprends à ne plus céder à mes caprices de geek. Du coup, ces optiques Sigma tombent du ciel : faut-il craquer pour ce rapport qualité/prix absolument délirant ?
« La pelicase ça fait les bras,
mais y’a un moment c’est lourd et ça attire les regards »
Et bien évidemment, la réponse s’avère toute en nuance. Dans mon cas, en prenant en main les optiques, je les ai trouvées étonnement lourdes au regard de leur incroyable compacité. Le 18-35mm est à peine plus volumineux que mon Tamron 24-70mm (lui aussi assez lourd d’ailleurs) et le 50-100mm est environ 30% plus long. Aussi ils se sont assez bien glissés dans mes sacs de voyage spécialisés. (La pelicase ça fait les bras, mais y’a un moment c’est lourd et ça attire les regards).
Mais forcément un poids pareil ça pèse sur des montures légères. Filmer à la main, comme je le fait toujours un peu m’a filé quelques sueurs froides. Sigma fournit des embases à double pas de vis 1/4 amovibles avec chaque optique, donc en soi on peut très bien les fixer sur un rig. Mais les embases sont spécifiques aux optiques, c’est à dire que l’embase du 18-35mm n’est pas compatibles avec le 50-100mm et vice versa. Du coup j’ai préféré prendre un support tiers, qui certes ne fixe pas l’optique, mais ne nécessite pas de dévisser l’embase à chaque fois que l’on veut changer d’optique. Ce qui est long… et chiant ! (pour la commission de censure, envoyez s’il vous plait vos mails par là).
D’autant plus que combinés le 18-35mm et le 50-100mm laissent quand même un trou focal de 15mm. Rien me direz-vous ? C’est pile poil la plage qui suit celle de la vision humaine et où j’aime faire varier très sensiblement le cadre pour un peu de subtilité. En équivalence 24×36, le 18-35mm est en réalité un 25-50mm donc permet de couvrir l’ensemble de cette vision humaine que l’on considère comme traditionnellement entre 35mm et 50mm FF. Mais étant habitué aux capteurs Super 35 c’est effectivement dans cette zone – et un peu plus – que j’aime jouer de mon cadre. Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai grimacé en atteignant la butée du zoom. Non seulement ça a déclenché chez moi une grande frustration, mais aussi une profonde panique : « Je passe au 50-100mm? Ou je garde le 18-35mm et je me rapproche ? Y’a quoi comme type de plans après? Bordel je fais quoi là ? ».
« En passant du temps avec les optiques, en les juxtaposant à différents types de capteurs j’ai pu apprécier toute leur subtilité. «
C’est que ces deux zooms ne sont clairement pas adaptés aux situations documentaires. Trop lourds, trop imposants, pas de pilote SERVO, un cadreur seul n’y trouvera pas son compte. Ce sont dans des setups beaucoup plus posés que les zooms SIGMA excellent. Fiction, Clip, Pub sont des territoires de jeux idéaux pour ces deux optiques. L’ergonomie – vous l’aurez compris – s’y prête d’avantage. Notamment grâce à une conception centrée autour d’une équipe à deux opérateurs (graduations bi-latérales, phosphorescence…).
Mais c’est surtout aussi au niveau de leur look optique qu’ils s’avèrent un bon matériel de création. Comme je le disais au début, je n’avais jamais trouvé un quelconque intérêt sur le look Sigma. À vrai dire je ne considérais même pas l’existence d’un tel look. C’était ma grossière erreur. En passant du temps avec les optiques, en les juxtaposant à différents types de capteurs j’ai pu apprécier toute leur subtilité.
« Chez Sigma tout est savamment dosé entre douceur et vapeur, résolution et texturing. «
Rien de nouveau sous le soleil timide de ce début printanier ; les optiques sont piquées (entre 6K et 8K selon SIGMA). Mais leur plage de netteté possède un ramping très doux. C’est à dire que la transition entre le point et le bokeh est très naturelle et repose l’oeil. Le bokeh quant à lui, basé sur 9 lames du diaphragme est étonnamment doux et facile à domestiquer. Le fond ne s’efface pas trop vite dans des vapeurs cotoneuses et ne mélange pas les couleurs dans une bouillie infâme. Chez Sigma tout est savamment dosé entre douceur et vapeur, résolution et texturing.
En fait cet alliage ouvre la porte à de multiples possibilités de texturing. Car quand on est en mesure de capter la moindre poussière volante dans les raies de lumière, densifier sa scène avec une machine à fumée devient un jeu d’enfant. Or bien souvent, sans que l’on ne s’en rende compte c’est bien souvent cette densité de l’air qui apporte un caractère à une scène. (Faites l’exercice chez vous : essayez de caractériser l’ambiance aérienne de certaines scènes ; vous verrez très vite comment elles accompagnent la narration). Il s’agit d’un travail très technique dont les directeurs de la photographie sont les maîtres incontestés. Mais ces deux zooms Sigma permettent de goûter au texturing de manière assez simple et jouissive.
Bref vous l’aurez compris, je trouve que ce 18-35mm et ce 50-100mm produisent des images canons. Avec une image plutôt froide mais très peu teintée, un velouté discret et progressif, des flares subtils et donc somptueux, une adaptabilité hors pair (ils produisent des images intéressantes à la fois sur des capteurs durs et des capteurs doux). Ces deux zooms ont totalement changé mon regard sur les optiques Sigma. Indéniablement ces deux beaux cailloux produisent une esthétique résolument moderne et texturé. À mi chemin entre le piqué outrancier et les veloutés dramatiques de certaines optiques cinéma, le 18-35mm et le 50-100mm de Sigma effectuent une bonne synthèse et se dotent donc d’une signature assez subtile et très plaisante à travailler.
« Puisqu’elles n’assurent pas sur certains points, pourquoi ne pas préférer leur pendant photographique ? »
Ces optiques ne sont bien sûr pas exemptes de défauts et autres bizarreries ; la parfocalité n’y est pas vraiment assurée et le pompage du 50-100mm est un des pires que j’ai jamais constaté. Pourquoi alors ne pas leur préférer leur pendant photographique puisqu’elles n’assurent pas sur les caractéristiques essentielles des optiques ciné? On y retrouverait à priori la même qualité optique pour un prix et un encombrement inférieur.
C’est une question que l’on m’a souvent posé et à laquelle j’ai trouvé très vite une réponse sur le terrain. Dans la mesure où les optiques Sigma sont très piquées et subtiles, leur maniement doit l’être tout autant. Après avoir goûté aux bagues crantées des optiques Sigma, impossible de faire le chemin inverse. Elles sont douces mais résistantes et permettent un super travail de précision, que les objectifs photographiques ne permettent pas. Pour les reports de points minimes, les bagues apportent un des meilleurs conforts que j’ai pu tester jusqu’à aujourd’hui. Entre des images tournées avec le Sigma Ciné 50-100mm T2.0 et son équivalent photographique, la différence est très nette. (c’est le cas de le dire). Dans le cas du second, le point n’y est jamais vraiment très précis.
Et tout l’enjeu est là. Le formidable travail optique de Sigma prend tout son sens en vidéo avec ces optiques Ciné. Car elle permettent la subtilité que les objectifs photographiques ne permettaient pas. Or c’est cette subtilité qui est la principale force de ces optiques et de ce qui est désormais la signature Sigma. L’attention pointue et tautologique portée au confort des bagues de réglages est en ce sens cohérente et essentielle.
« On ne peut que saluer que Sigma vienne bousculer enfin les lignes établies. »
Les optiques Sigma ne sont certes pas dénuées de défauts – loin de là – mais permettent pour 4000€ de mettre un pas sérieux dans le monde de l’optique Ciné. On ne peut que saluer qu’un acteur comme Sigma vienne bousculer enfin les lignes établies. Le marché de l’optique Ciné était jusqu’ici inaccessible à bien des indépendants. L’arrivée de ces optiques vidéos à prix contenu comble un fossé méconnu entre indépendants et production haut de gamme. En ce sens Sigma et Fuji ont bien senti le décalage qui existe entre l’explosion des ventes de FS7/C100/GH4/Speedbooster et les productions haut de gamme. Ce marché était à investir pour créer enfin une passerelle entre deux mondes optiques. Pour moi Sigma passe le test avec le bénéfice d’être le premier à investir ce segment. Mais il y a fort à parier que la compétition sera très rude. Très vite les optiques de ce segment seront parfocales, dénuées de pompage couvriront des plages focales complètes, et auront une uniformité de couverture. Des points sur lesquels Sigma pèche lourdement.
Mais contre toute attente on pourrait à terme bien se tourner vers Sigma non pour une perfection technique mais bel et bien pour son look. Ces deux zooms ciné ont pour ma part totalement changé le rapport esthétique que j’avais à la marque. J’y ai découvert un vrai look jouant d’une subtilité très intéressante et inédite totalement adapté au numérique. En cela, parce qu’elles n’héritent d’aucune tradition, ces optiques ciné de Sigma proposent ce que je considère comme un vrai look cinématographique moderne. Piquées, texturées, peu teintées, elles sont pour moi une délicieuse surprise qui osent le pari de la subtilité et offriront très vite aux vidéastes indépendants pointilleux une solution abordable tant à la location qu’à l’achat.
De mon côté j’ai un peu de peine à rappeler Sigma pour leur rendre leur pelicase. Avec le début du printemps, la saison des courts-métrages est en passe de débuter. Il y a fort à parier qu’avec l’enthousiasme du gamin de 6 ans que je suis désormais, la valise m’aurait suivie partout…
En résumé
J'adore
- Le look optique moderne et subtil
- Piqué très bien géré
- Ces beaux flares
- La douceur des bagues de réglage
- Les petites attentions à destination des assistants cadre
- Puis elles brillent dans le noir quoi, merde…
J'aime moins
- Ce foutu trou focal de 15mm très frustrant
- Le pompage abusé du 50-100mm
- Le poids un peu lourd pour des montures classiques
- Les embases peu pratiques
Et puisque vous êtes là...
… j’aimerais vous dire encore un truc.
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