Tourner en RAW avec Magic Lantern est-elle la bonne solution?
Cet article est récupéré de mon ancien blog : Le Laboscope.
Chez Magic Lantern, alors que l’on croyait les développeurs du plus célèbre patch pour boîtiers Canon endormis, tout s’est accéléré d’un coup. On a d’abord annoncé que l’on avait trouvé un moyen de filmer en RAW sur les 5D Mark III, puis sur les 600D, et puis même sur des boîtiers qui ne pouvaient pas faire vidéo. Grand coup de tonnerre. Chambardement. On parle de révolution. D’ailleurs on ne parle plus que de ça.
Belle revanche pour ceux que l’on croyait réduit au mutisme par les injonctions à peine masquées de Canon. Revanche confirmée avec la sortie à venir mais confirmée du patch pour les derniers nés 700D et 100D, avec en bonus ce fameux enregistrement en RAW qui fait tant parler de lui. Brèche ouverte pour les boîtiers des autres constructeurs puisque Vitaliy Kiselev, hacker connu des boîtiers Panasonic (PTools) et Nikon (NTools), développerait à son tour un patch permettant d’enregistrer du RAW sur un Nikon D7100.
« Skin » d’Andrew Wonder et Shal Ngo, un des premiers court-métrages tourné au 5D Mark III RAW.
J’ai longtemps hésité à écrire cet article. Ce sont finalement mes étudiants qui m’y ont poussé. Depuis ses débuts, on en parlait alors à peine, j’ai pu suivre le développement de ce RAW pour boîtier Canon. J’ai pu convaincre plusieurs amis de l’essayer. Parce qu’on aime la bidouille, parce qu’on aime les développeurs indépendants qui font la nique aux grandes multinationales qui veulent leur faire peur, parce qu’on aime les belles images, parce qu’on a un côté un peu « c’est nouveau on teste », et puis parce qu’on a été un peu flatté d’obtenir un peu avant tout le monde, sans doute par chance, ce fameux patch que l’on a essayé dans l’ombre.
Résultat des courses, un boîtier en surchauffe, inutilisable. « La faute à pas de chance » nous disions-nous. On en a pris un deuxième, après quelques minutes, l’appareil s’éteint, la carte est vide, l’appareil brûlant. La méfiance est de mise. Personne ne comprend : le flux RAW est récupéré depuis le LiveView, l’appareil devrait donc en théorie générer moins de chaleur puisque le processeur est moins sollicité. Deux boîtiers inutilisables en une après-midi l’expérience à mon grand regret s’arrête là. Les jours passent, les premiers tests arrivent sur le net. Tous positifs. Je retente l’expérience à distance avec un ami américain, possédant un 5D Mark III neuf de quelques jours. Connaissant nos déboires il fait la moue, se laisse convaincre par les tests sur Internet. Nous obtenons un nouveau patch, une nouvelle carte. L’expérience est soldée par un échec, la carte est vide, l’appareil ne se rallume plus, il est bouillant.
3 boîtiers inutilisables, c’est trop pour une coïncidence. Il y a un temps pour les tests, il y a un temps pour la réflexion. Avons-nous mal effectuée la manoeuvre? D’après les multiples contacts que nous prenons, il ne semble pas. Est-ce un défaut du patch? Aucune justification technique ne pointe le bout de son nez. Alors quoi?
Un dernier essai sera alors fructueux. Le tournage se fait sans soucis, le flux RAW sort du boîtier, se manie très bien. Mais aucune explication quant à l’échec des 3 autres. Plusieurs essais suivront, tous couronnés de succès.
La qualité de l’image RAW depuis un capteur Full-frame est bien évidemment stupéfiante. À tomber à genoux. L’application de LUT dans des logiciels d’étalonnages rendent les possibilités immenses. Il serait idiot de ne pas parler de tour de force de la part des développeurs de chez Magic Lantern. Oui filmer en RAW sur un 5D relève d’une prouesse technique qui change la donne.
Cependant…
Oui cependant, l’usage du RAW sur un boîtier Canon, tout aussi alléchante l’idée soit-elle, ne m’a pas conquis. Oh bien entendu, le résultat est là, l’image est sublime, mais quel travail pour en arriver là! Si l’on oublie mes mésaventures initiales (qui a quand même coûté 3 allers-simples au SAV Canon…), le tournage qu’implique ce genre de techniques est quand même extrêmement laborieux. Il faut déjà être équipé d’une carte dont le débit doit supporter le flux continu envoyé, et doit posséder une capacité de stockage suffisante pour recevoir ces fichiers si lourds. Problème ces cartes coûtent chers. On pourra m’objecter que la carte CF recommandée par Magic Lantern est une des moins chères du marché. Le constructeur, ayant eu vent du succès inattendu de sa carte n’a pas tardé à en augmenter les prix. Et quand bien même le support de stockage ne serait pas cher, il n’est pas le plus adapté. Comment travailler si on doit dévider la carte toutes les 10 minutes, jongler entre plusieurs CF, et donner des migraines au media manager qui doit pister les drops qui subsistent (oui je sais, il a que ça à faire le bougre il ne va pas se plaindre)? Sans s’attarder sur le coût supplémentaire que peut impliquer plusieurs cartes CF, une interface assez rapide pour dévider les cartes sur un ordinateur, le système me semble déjà assez compliqué. Comment ça se passe ensuite niveau post-production? Déjà prévoir encore et toujours de l’espace de stockage. Doublez si par le plus grand des hasards vous voulez sécuriser (au cas-où hein? Moi je dis ça je ne dis rien…). Et puis après commence la grande valse des utilitaires, pour compiler les RAW en Cinema DNG. Permettre l’importation dans les logiciels d’étalonnage, la génération de proxy, la perte d’images dans le lot, la retrouver, comprendre pourquoi….bref….
Si les utilitaires se sont multipliés et sont de plus en plus fiables, ce petit passage les mains dans le cambouis m’a fait réaliser une chose. La bidouille aussi stupéfiante soit-elle atteint ses limites quand elle devient un frein à mon travail. Encore une fois, impossible de dire que la qualité d’image n’est pas au rendez-vous! Elle est stupéfiante! Mais vaut-elle la peine que l’on se donne pour l’avoir? Probablement pas.
J’ai pour habitude de dire que l’on ne fait pas parce que l’on PEUT, mais parce que l’on VEUT. Nous avons la chance de vivre cette époque où chacun peut obtenir de quoi produire de l’image animée. Paradoxe des temps modernes, on n’a jamais autant déploré l’utilisation d’images amateurs (Instagram en couverture des plus grands magazines, portables de plus en plus présents dans nos JT…), alors que nous possédons des accès sans cesse améliorés pour produire des images d’une qualité sans cesse améliorées. 3D, 4K, UHD, RAW etc… Toutes ces notions que l’on n’évoquait même pas il y a 5 ans! Dans tout ça, en tant que vidéastes, que privilégier? La qualité technique et visuelle? Ou bien la création rapide de contenus?
Ni l’un ni l’autre. Une caméra ne me séduit pas parce qu’elle peut faire du 4K ou du RAW ou parce que je peux y mettre un objectif hors de prix. Elle ne m’est pas indispensable parce qu’elle est ce qui se fait de mieux dans telle tranche de prix. Non ce n’est pas parce qu’elle produit une image extrêmement détaillée qu’elle va être pour moi la plus précieuse des alliées. Plutôt que la course à la technologie, dont je me fais bien entendu le relais malgré moi sur Le Laboscope, je choisis la course à l’utilité pour choisir mes caméras. Car ce qui va m’importer avant tout, ce n’est pas de produire une belle image, mais de produire un beau film. Avec du sens, une cohérence qui dépasse le simple aspect plastique, de l’émotion. Or si je passe mon temps à bidouiller ma caméra, pour produire une image, certes très belle mais sans vie, je passe à côté de l’essentiel. Donc pour moi, la caméra idéale, c’est celle qui va me permettre de produire la plus belle image possible, tout en me laissant du temps pour organiser et gérer un plateau de tournage. Il ne faut pas inverser les rôles, on tourne pas pour la caméra, c’est la caméra qui tourne pour nous. En tant que testeur, il est normal de pousser jusqu’au bout les capacités des caméras et d’en faire le relais. En revanche, quand je teste une caméra, je me demande toujours si, outre ses capacités techniques, elle constitue une bonne compagne de route.
Exit donc la course à la résolution, exit donc la course au codec. Ce que je veux avant tout, c’est faire un film sans que la technologie ne soit un frein. Et je ne parle pas que de création ou de fiction, mais aussi de commandes que des clients me passent. Comment créer un produit audiovisuel efficace quand on passe son temps à compenser les compromis que nous imposent les techniques? Ai-je vraiment besoin du 4K pour une vidéo destinée à être vue sur une petite fenêtre dans le web? Ai-je vraiment besoin de prendre 1To de places pour ce projet? Ai-je besoin d’un traitement RAW pour le spectacle de fin d’années de l’école primaire du coin?
SAIS-JE SEULEMENT TRAITER UN SIGNAL VIDÉO RAW?
Car oui dans l’histoire, quoi de plus beau que de voir quelqu’un qui ne sait déjà pas filmer en H264 (voire photographier en JPEG) sur un boîtier Canon vouloir se lancer dans le RAW, avec toute la bonne volonté qui va avec? Les avancées de Magic Lantern sont des portes ouvertes à l’innovation et les possibilités créatrices sont certes énormes, à condition d’avoir les compétences pour les manier. Certes nous sommes dans une époque remplie d’auto-didactes, on ne va pas se mentir, mais ne faisons pas tout à l’envers. Apprenons à réellement filmer, avant de vouloir plonger à l’aveugle dans des retords complexes de l’image vidéo.
La plus grande accessibilité des supports de captation vidéo a bien entendu permis l’émergence de nouveaux talents, et c’est tant mieux, mais je continue à croire qu’elle a aussi appauvri notre culture de l’image en nivelant sur le fond la création audiovisuelle. Malgré quelques coups de génies isolés (et à la postérité discutable), il y a trop de films qui se ressemblent, trop d’images similaires. C’est une gangrène qui a gagné le milieu professionnel où le « beau » prime désormais sur le sens. Facile de lancer une société de production armé de quelques DSLR, moins facile de créer des documents originaux, avec de vraies bonnes idées à l’intérieur! On m’objectera que les clients « s’en foutent », qu’ils ne veulent que du beau. Je répondrais que c’est notre devoir de devancer les attentes du client, de lui proposer un produit qui correspond à ses besoins et non à ses attentes. Les professionnels de l’image ce ne sont pas eux, ce sont nous, alors faisons notre boulot comme on attend qu’ils fassent le leur. À terme cela permet de créer un horizon audiovisuel riche et enrichissant. En nivelant à ce point la création visuelle, par le sacrifice du sens pour la technologie, c’est notre profession que l’on met en danger. En encourageant un système où n’importe qui peut se prétendre Producteur, Réalisateur, Cadreur, Monteur, Etalonneur, et en perdant de ce fait tout un savoir faire qui est un juste alliage entre techniques et créations.
Cette avancée de Magic Lantern, aussi impressionnante soit-elle, va sans doute modifier le paysage vidéo. En bien? Peut-être pas. En légitimant l’apparition de ces caméras à faibles prix mais à l’ergonomie douteuse, à la gestion des fichiers laborieuse, pour une utilité toute relative, on risque de voir disparaître des équipements véritablement professionnels pour laisser place à de la bidouille en permanence. Ce qui en naîtra? Des films indépendants dont le potentiel technique ressemblera à un assemblage de bric et de broc, faute de personnes véritablement capables de gérer de A à Z les workflows qu’impliquent ces équipements et les conséquences techniques qui en découlent.
Résultat des courses des films qui ne montrent rien : tant sur l’image que sur l’histoire. Alors au final à courir après la technologie, on finit par consommer l’instant et regarder du vide.
EDIT au 02.07.13: Au travers des commentaires on m’a fait remarquer que cet article pouvait être perçu comme un dénigrement du travail de Magic Lantern sur son dernier patch. Il n’en est rien bien au contraire. Le travail effectué par Magic Lantern est époustouflant et malgré les mésaventures qui me sont arrivées, il est à ce jour IMPOSSIBLE de les lier à l’utilisation du patch qui semble fonctionner normalement partout ailleurs sur la planète. De même les utilitaires, dont nous ne disposions pas alors, se sont stabilisés et fonctionnent très bien pour l’import des rushes sur vos machines. Si je ne trouve pas d’utilisation pour le RAW Magic Lantern dans MON travail, il n’en demeure pas moins un bel outil qu’il convient de savoir manier. Pour cela, je ne saurais que trop vous pousser à effectuer les tests par vous même, vous serez toujours plus à même d’évaluer si ce patch répond réellement à vos besoins ou non, et si vous avez les capacités de les mener à bien. Faites preuve de clairvoyance, et tout devrait aller bien.
Le Guide pour filmer en RAW au 5D Mark III
We can confirm now, that ML will run on the 700D/100D (aka T5i/SL1).
RAW conversion with the EyeFrame Converter for use of the footage in Resolve/After Effects without complicated workflows (http://eyeframeconverter.wordpress.com/download/), or import it DIRECTLY into Premiere Pro and After Effects with a plugin (http://19lights.com/wp/2013/06/08/magic-lantern-raw-video/)!
Auto ETTR, a feature that is useful to anyone who shoots RAW, because it will expose the feature just so that no highlights get clipped, and thereby a maximum of dynamic range is achieved, is being worked on continuously.Please stay tuned for a stable release; we want everything to be working perfectly. In the mean-time, feel free to make your own Magic Lantern – HOW? you may ask. Well, here’s a video: http://www.youtube.com/watch?v=LcHJdsl5Dxw.
Alternatively you can use pre-built versions fromhttp://www.magiclantern.fm/forum/index.php?topic=6362.0. If you need help with any of that, the forum community will probably have explained common issues already, and if you’re sure, the issue has not been raised, yet – feel free to ask!Please bear in mind, that everything you do is on your own risk, and we’re still aiming to release a full working version for all of you, once it works for all of you, that is.
Also, we’re very happy that the community and all of you are so supportive, help with the development of ML and plugins for your programs, so…
Stay tuned, MAGIC LANTERN LOVE!
BROUSSOUX
Bonjour,
J’aime beaucoup votre analyse de l’évolution et du devenir éventuel de la matière audio-visuelle… et je suis assez d’accord avec toi sur la généralisation du beau, les images se ressemblent toutes d’un point de vue lumière, texture, etc… avec en plus l’avènement du drone que l’on voit partout maintenant.
As-tu fais une mise à jour de ces commentaires en 2015 ou maintenant avec les dernières versions de Magic Lantern ?
Merci.
Sylvain BERARD
Bonsoir et merci beaucoup.
Non je n’ai pas fait de mise à jour de cet article.
Les problématiques n’ont pas beaucoup évoluées, sinon les techniques se sont démultipliées (arrivée des drones, des stabilisateurs gyroscopiques…), mais paradoxalement ce surplus de « technicité » permet aussi de désunifier la production.
J’attends beaucoup d’avoir une justification plastique des choix de caméras pour un produit plutôt qu’une justification technique. Mais globalement aujourd’hui, on voit beaucoup plus de types d’images qu’auparavant. C’est déjà un pas.
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