Le RAW 4K de Magic Lantern, ça implique quoi ?
Magic Lantern a débloqué l’enregistrement 4K RAW sur les boîtiers Canon 5D. Impossible de passer à côté ces derniers jours même si l’enthousiasme est resté contenu. Est-ce le fait que l’annonce fut faite un 1er avril ? Ou est-ce que l’engouement pour les boîtiers Canon n’est plus celui qu’il était ? Mais l’annonce a soulevé plus de scepticisme que de « bravo« . Las, Magic Lantern continue son impressionnant travail de débridage des boîtiers Canon, sans se préoccuper du qu’en dira-t-on.
Le RAW avec Magic Lantern oui, mais à quel prix ?
Ce fut quasiment un de mes tous premiers billets de blog. C’était sur Le Laboscope – à l’époque – et j’expliquais pourquoi à mon sens le tournage RAW sur les 5D me paraissaient plus être un exploit technologique, qu’une réelle avancée pertinente pour les utilisateurs. Un peu moins de 4 ans après, mon point de vue à ce sujet n’a que très peu évolué.
En substance, je suis admiratif de cette équipe de fou que sont les développeurs de Magic Lantern. En résulte un patch incontournable pour tout ceux qui veulent faire de la vidéo avec le 5D. Est-il est un gain significatif sur les performances natives du boîtier ? Oui, mille fois oui, à un point dont vous n’avez pas idée. Il n’y a pas à tortiller, l’image obtenue est sublime. Mais en 2017 le 5DRAW 4K (appelons le comme ça si vous le voulez bien) a quelque chose d’un peu incongru.
L’innovation se suffit-elle à elle-même ?
Les problématiques déjà soulevées il y a 4 ans n’ayant trouvé que très peu de réponses ; elles en deviennent quasi rédhibitoires aujourd’hui. Stockage interne et stockage externe n’ont pas eu la baisse de prix rapide et ample que l’on escomptait alors. L’impact financier (investir dans des cartes CF capacitives et à haut débit et un stockage informatique fiable et capacitif) demeure toujours colossal. Et la gestion des fichiers n’a guère évoluée depuis.
Ces problématiques n’en arrêteront pas certains, je le conçois. En même temps si ils en ont les moyens, pourquoi se priver ? Mais plus que jamais, la valse de cartes CF blindées en quelques secondes, et le media management hyperactif qu’implique ce workflow reste pour moi rédhibitoire. Les raisons de ce refus d’alors restent pour moi toujours d’actualité. Il faut arrêter de confondre prouesse technologique et intérêt filmique (une tendance loin d’être exclusive à l’audience de Magic Lantern). Il s’agit maintenant de combiner les deux. Et même si c’est un réflexe que je constate en voie de disparition, il demeure encore vivace. L’outil fait l’ouvrage, il n’est pas l’ouvrage. Par bien des aspects, le 5DRAW est un outil très puissant (un coup d’oeil à la vidéo en bas de page vous en convaincra), mais il est aussi très spécifique. Il convient de ne pas l’oublier à l’heure où le 4K vient en accentuer ses traits.
Que les avantages du numérique ? Non.
Sachez que puisqu’il implique une gestion du plateau radicalement différente de toute autre caméra RAW (généralement basées autour de SSD), tourner en 5DRAW peut vite se transformer en enfer pour celui qui n’y est pas préparé. Par analogie, tourner en 5DRAW se rapproche d’un tournage à la pellicule. Le support y est rationné, souvent changé, et demande une attention au plateau toute particulière.
Le numérique a un petit peu bouleversé ces codes. Les cartes mémoires, le codage des images, le montage non-linéaire et l’étalonnage numérique ont offert une liberté énorme aux cinéastes. En devenant une donnée informatique, l’image n’est plus une matière tangible comme l’était le photogramme. Ce qui fait une différence de taille. Le photogramme est déjà un aboutissement en soi ; la donnée informatique reste dans l’ordre de l’attente et de la non-unicité.
De fait, la gestion de ces deux supports nécessite donc une approche créative très différente. L’argentique est rationné et peu malléable ; il nécessite une écriture et une vision très précise en amont du tournage. Faute de pouvoir multiplier les prises, la maestria des grands noms de ce support tient justement dans cette capacité à emmener simultanément acteurs et technique très vite dans la justesse. Le numérique permet une plus grande liberté d’approche, d’expérimentation, de réécriture. Et sa démocratisation a donné beaucoup plus dans le beau que dans le bon. Je vous épargnerais le discours culpabilisant sur le « On verra ça en post-production » caractéristique du numérique, que tout le monde aime railler mais abuse en secret.
Magic Lantern offre une autre approche du tournage.
Le 5DRAW 4K de Magic Lantern est le pont entre les deux. C’est un format numérique très malléable, mais rationné. Le seul du genre. En ce sens, il permet donc, à l’heure du numérique, de retrouver une certaine tangibilité du rush. Et ça n’est pas pour me déplaire – bien au contraire – pour peu qu’on le choisisse non pas pour la gloire, mais pour sa pertinence. Mais du coup, il se réserve à des praticiens de longue date du discours videographique. Ceux dont l’expérience a permis de savoir écrire un film et diriger un tournage.
Pour moi le point central d’un plateau de tournage doit être devant l’objectif et non derrière. Tout comme une image, vous verrez que chaque tournage a sa composition et ses lignes de force. Je considère que sur un plateau, ces lignes doivent converger vers l’acteur ou le sujet. Le reste s’articule autour. Une trop grande activité autour de la caméra déplace cette attention et risque de perturber la concentration ou la sincérité du sujet. C’est très Cassavetesien comme approche, mais je trouve que sinon le film perd en fluidité et en crédibilité.
Maîtriser le RAW 4K de Magic Lantern n’est donc pas qu’une histoire de compétence technique. Pour peu d’être équipé avec du matériel solide, les workflows sont éprouvés depuis quelques temps déjà. C’est surtout une toute autre manière de tourner, et donc nécessairement, de raconter des histoires. Adeptes des plans séquences, passez votre chemin.
Les patchs Magic Lantern
sont-ils toujours pertinents ?
L’accueil en demi-teinte, un peu lent, traduit bien le scepticisme qu’entoure cette annonce. D’une part parce qu’il s’agit d’une drôle d’annonce ; où l’on clame qu’on a réussi à filmer en 4K avec un 5D, mais à des cadences et résolutions bizarres, avec de nombreux bugs. D’autre part, parce que les boîtiers Canon n’ont pas supporté la concurrence des Panasonic GH et des Alpha 7 et concentre une faible communauté d’irréductibles. Enfin parce que les résolutions et les codecs ont fini d’obnubiler le marché.
Aussi, si la marche à suivre pour installer le patch de Magic Lantern reste assez simple, elle n’en demeure pas moins un bricolage à la charge de l’opérateur. Comment dès lors, pour un travail vidéo, ne pas préférer un A7S, boîtier plus compact, aux instruments intégrés, et à la sensibilité native décapante ? En somme : pourquoi ne pas aller chez la concurrence si celle-ci propose la même chose – voire plus – sans bidouillage ?
Et Canon dans tout ça ?
Bien sûr, bons nombres de photographes de profession apprécient le 5D pour ses formidables capacités photographiques. La perspective de ne pas avoir à changer de boîtier pour goûter correctement aux joies de la vidéo est un atout non négligeable. Mais avec ses patchs, Magic Lantern a fini de tuer tout espoir de voir un jour Canon se pencher sur les faiblesses videographiques de ses boîtiers. Un ingénieur de chez Canon me le disait l’autre jour « Pourquoi nous embêter à faire ce que d’autres font déjà gratuitement pour nous ? ».
Canon a arrêté de mener sa bataille acharnée contre Magic Lantern quand elle a compris que cela lui assurait toujours un marché sans qu’elle n’ait à lever le petit doigt. En évitant ainsi de devoir rivaliser difficilement et frénétiquement Panasonic, Sony, Blackmagic… elle s’élève pour consolider sa base photographique, beaucoup moins volatile et infidèle que les vidéastes.
D’un point de vue extérieur, les travaux spectaculaires de Magic Lantern ressemblent assez à un hackaton au goût amer. La prouesse est bien là, certes. Mais je parie que le 4K RAW arrivera sous peu en masse dans nos boîtiers. Le tout sera beaucoup plus stable, grâce aux moyens que Magic Lantern ne possède pas. Tout est donc une histoire de patience. Peut-être Canon tardera d’avantage à implémenter ce « Graal ». Quelque part on ne peut que le regretter. Car les produits Canon possèdent de sérieux atouts… Mais qui n’ont jamais rien au à voir avec les codecs.
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